Dans cet article, publié dans l’« Irish Times » le 24 juillet 2012, le journaliste Tom Henningan retransmet des entretiens avec Jorge Videla [ancien chef de la junte militaire en Argentine de 1976 à 1983], qui dit avoir été conseillé par la hiérarchie catholique sur la façon de conduire la « sale guerre ».
L’ancien dictateur argentin déclare avoir tenu la hiérarchie catholique de son pays informée de la méthode de «disparition» des opposants politiques appliquée par son régime, et que les responsables catholiques l’ont conseillé sur la façon de conduire celle-ci.
Le cardinal Raul Francisco Primatesta et le chef de la junte Jorge Videla
Jorge Videla déclare avoir eu «de nombreuses conversations» avec l’évêque primat d’Argentine, le Cardinal Raul Francisco Primatesta à propos de la sale guerre menée par son régime contre les activistes gauchistes. Il a eu aussi des conversations avec d’autres évêques importants de la conférence épiscopale d’Argentine ainsi qu’avec le nonce de l’époque, Pio Laghi.
« Ils nous ont conseillé sur la façon de traiter la situation » déclara Videla dans une série d’interviews conduites par le magazine «El Sur» en 2010, mais publiées seulement dimanche dernier (22 juillet).
Dans certains cas les autorités de l’église ont proposé leurs «bons offices» et entrepris de conseiller aux familles à la recherche de leurs «disparus» d’interrompre leurs recherches, mais seulement dans les cas où elles étaient sûres que celles-ci n’utiliseraient pas l’information pour dénoncer la junte. « Dans le cas de familles dont il était certain qu’elles n’utiliseraient pas politiquement cette information, ils leur disaient de ne plus continuer à rechercher leurs enfants parce qu’ils étaient morts » dit Videla, ajoutant que l’église « comprenait bien… et assumait aussi les risques » de son implication.
Cette confession confirme les doutes que l’on a depuis longtemps sur la collaboration de la hiérarchie catholique d’Argentine avec le soit disant processus de réorganisation nationale qui avait pour but de déraciner le communisme. Dans le années qui ont suivi le coup d’Etat conduit par Videla en 1976, des milliers d’activistes gauchistes ont été emmenés dans des centres de détention secrets où ils étaient torturés et assassinés. Des aumôniers militaires étaient désignés comme conseillers spirituels par les responsables de la junte responsables des centres.
Contrairement à la hiérarchie catholique du Brésil, où les responsables de l’église dénonçaient la dictature militaire du pays et fournissaient des asiles aux victimes, les évêques d’Argentine furent de farouches défenseurs du régime devant les accusations internationales de violation des droits de l’homme.
Au sommet de l’offensive de l’Etat le cardinal Primatesta refusa de rencontrer les mères de disparus qui, face à l’intimidation violente et au silence des médias demandaient de l’aide pour découvrir ce qui était arrivé à leurs chers disparus. Il interdit aussi au petit clergé de faire des déclarations contre la violence d’Etat, même lorsque les escadrons de la mort visaient les prêtres catholiques critiquant le régime.
Les défenseurs du cardinal prétendent qu’il pensait qu’affronter le régime serait contre-productif et qu’il reconnaissait en privé que les disparitions et les tortures étaient contraires à l’esprit chrétien. A sa mort en 2006, les organisations argentines des droits de l’homme déclarèrent qu’il emportait dans la tombe beaucoup des secrets de la junte, alors qu’elles n’avaient pas réussi à lui faire avouer sa participation.
L’accusation de la collaboration avec la junte poursuivit la carrière ultérieure de Laghi, qui fut à Buenos Aires un partenaire de tennis régulier du représentant de la Marine au sein de la junte, l’amiral Emilio Eduardo Massena.
Le groupe des droits humains des Mères de la place de Mai tenta de le poursuivre en Italie pour sa participation à la dictature en Argentine, mais ne réussit pas.
Videla est en prison pour atteintes aux droits de l’homme lorsqu’il était au pouvoir. Il a été condamné ce mois-ci à 50 ans de réclusion pour avoir orchestré le vol d’enfants nés en captivité de femmes ensuite assassinées par leurs ravisseurs militaires.
Il donna cette interview au journal El Sur à la condition qu’elle ne soit publiée qu’après sa mort, disant qu’il ne voulait pas provoquer davantage de souffrances. Mais le magazine a considéré qu’il était relevé de cette obligation après que Videla ait donné à d’autres journalistes une série d’interviews, qui ont été publiées.
Source : http://www.irishtimes.com/newspaper/world/2012/0724/1224320709151.html
Traduction : Lucienne Gouguenheim