L’Église savait en ce temps-là que l’Esprit qui lui était donné ne lui demandait pas de regarder en arrière mais d’inventer du neuf. Jésus avait laissé fort peu de consignes et n’avait tracé aucun plan, aucun modèle, aucune méthode. À nous de jouer ! À nous la Parole ! À nous l’initiative. L’Esprit n’est pas un testament à exécuter, l’Évangile un écrit à recopier. L’Église de la Pentecôte a l’audace d’accueillir en son sein les non-circoncis ; elle a la sagesse de choisir les « sept » pour répondre aux premiers besoins ; elle ose mettre par écrit la bonne nouvelle qui circulait jusque-là de bouche à oreille.
Au long des siècles l’Église a su prendre ses responsabilités. Jésus lui avait-il dit d’assumer la suite de l’empire romain ruiné par les barbares ? de jouer d’égal à égal avec les rois et les empereurs, sur leur propre terrain et avec leurs propres armes ? de former une caste de clercs fiers de l’austérité de leur célibat et du prestige de leur savoir ? Où avait-elle appris qu’il fallait mobiliser l’Occident dans des croisades militaires ? A-t-elle eu besoin de consigne pour décider tout cela ?
La timidité qu’elle montre aujourd’hui fait contraste. Elle donne l’impression qu’on ne peut rien changer, rien décider, comme si elle était figée dans une perfection indépassable, comme si les choix d’hier devaient être éternels. Elle en arrive même à devenir nostalgique de son passé comme une vieille grand-mère rêve de sa brillante jeunesse. Ah ! qu’il était beau ce monde aux églises pleines ! Ou elle se met à se croire le symbole d’éternité qui rassure ceux qui sont plongés dans la fragilité de l’histoire.
Les chrétiens d’aujourd’hui comme ceux d’hier savent que l’Esprit les appelle vers du neuf. Ils sont en droit d’attendre de l’institution qu’elle les éclaire, les encourage, les accompagne et coordonne leurs audaces. Si l’Église leur donne l’image d’un chantier terminé où on n’embauche plus que pour l’entretien… Si l’Église est un grand paquebot majestueux dont l’inertie rend inopérant tout mouvement de gouvernail… Si le souffle de l’Esprit est enfermé dans les outres des habitudes sacrées… Si le pape est seulement le gardien d’hier, si les évêques sont seulement chargés du maintien de l’ordre, si les curés sont seulement chargés d’offrir des services religieux à un peuple sans appétit… quelle Pentecôte pouvons-nous fêter ?
Oui, le concile a été pour nous un moment où l’Église avait retrouvé l’audace de l’innovation. Les lourdeurs étaient toujours là mais un lieu existait où du neuf était possible. Nous avions même pensé que le concile terminé, des instances nouvelles comme le synode romain, les conférences épiscopales, les synodes diocésains, devaient garder cette capacité à répondre à l’urgence de chaque temps. Hélas, ces lieux se sont ensablés. On nous a rappelé que le concile n’avait rien changé et que l’Église était toujours sur son erre. On nous a redit que Dieu était au loin, en haut, et non pas au milieu de nous.
Et pourtant ne nous laissons pas glisser dans cette lassitude et cette résignation. Non, l’Esprit ne peut être enfermé dans aucun Cénacle. Si on est attentif, on le voit produire des fruits inattendus : Il rappelle aux nations le sacré de toute personne humaine, il se lève contre les structures injustes, il fait lever la compassion et la fraternité, il envoie les ONG au milieu des conflits ; il ouvre des dialogues hier impossibles entre croyants et incroyants, entre croyants de toute tradition, il dénonce les étroitesses de tous les intégrismes, il mobilise la science contre la maladie et la pauvreté, il rêve d’une flamme olympique cohérente, il donne à l’évangile de bouleverser des vies. Puisque l’Église est cette part de l’humanité où l’Esprit de Dieu se donne au monde, nous ne la trouverons pas dans les statistiques de l’administration romaine mais dans la vie de notre époque. La barbarie qu’on y déplore c’est déjà l’Esprit qui nous la montre et c’est aussi lui qui nous appelle à faire un monde nouveau.
Paru dans Témoignage Chrétien le 15 mai 2008, reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’hebdomadaire.