L’Église compte aussi des « indignés » dans ses rangs. Ils réclament notamment des eucharisties sans prêtre ou l’ordination de laïcs mariés.
Enquête de notre envoyé spécial en Autriche
Jean Mercier
« Seigneur, nous te prions pour que les autorités de l’Église et la base des croyants puissent mieux se comprendre. » Le dimanche 11 septembre, l’intention de prière résonne de façon particulière sous les voûtes de la petite église de Probstdorf, à une trentaine de kilomètres de Vienne. L’homme qui se tient derrière l’autel n’est autre que le père Schüller. Ce prêtre de 59 ans au regard bleu saphir est le chef de file de l’association Pfarrer Initiative (« les curés prennent les devants »), qui défie depuis trois mois l’épiscopat sous la forme d’un « appel à la désobéissance ». Les prêtres affirment vouloir transgresser plusieurs règles de l’Église. Ils vont donner la communion aux divorcés remariés et aux protestants. Se refusant à dire la messe plus d’une fois par dimanche, ils vont organiser des « eucharisties sans prêtre ». Opposés aux regroupements de paroisses, ils militent pour l’ordination des hommes et des femmes mariés pour que chaque clocher ait son pasteur.
Dans le cas d’Helmut Schüller, le défi a été lancé à l’archevêque de Vienne, le cardinal Christoph Schönborn, un papabile proche de Benoît XVI. Un vieux contentieux existe entre les deux hommes. Jadis, Schüller a été le vicaire général du diocèse. À la suite d’un conflit, le cardinal a décidé de virer son bras droit devenu très médiatique, ce qui avait créé l’émoi. « Tout ça appartient au passé, assure Helmut Schüller. Croyez-vous qu’autant de prêtres se seraient mobilisés si c’était une vengeance de ma part ? La situation ne peut plus durer. Nous avons reculé par rapport au concile Vatican II. Non seulement l’institution veut revenir en arrière sur le rôle des laïcs et sur l’œcuménisme, mais en plus les avancées espérées sont bloquées. Rien ne bouge depuis 15 ans. »
En 1995, la révélation de la pédophilie de l’ex-cardinal archevêque de Vienne, le cardinal Gröer, avait déclenché un véritable soulèvement : 500 000 Autrichiens avaient signé une pétition pour réclamer des réformes, donnant naissance au mouvement Nous sommes l’Église. Sous la contrainte, l’épiscopat autrichien s’était engagé sur la voie du dialogue. « La réalité s’est vite imposée : l’institution ne veut pas bouger, explique un autre prêtre « critique », Hans Bensdorp. C’est pourquoi nous avons créé en 2006, avec des prêtres progressistes, la Pfarrer Initiative. » En 2008, les curés autrichiens ont été reçus au Vatican, par Mgr Ladaria, secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la foi : « Nous avons pu nous expliquer. Il nous a écoutés et a reconnu les problèmes », constate le père Schüller.
Si parfois le dialogue n’existe pas entre la base et le sommet, ce n’est pas le cas à Vienne où les rebelles admettent qu’ils ont reçu une écoute réelle. Mais ils reprochent au cardinal son inaction. « Schönborn doit faire de l’Autriche une sorte de laboratoire pour le futur », affirme le père Schüller. « C’est impossible, argumente le porte-parole du cardinal, Michael Prüller. On ne peut introduire de changements majeurs sans que l’Église le décide au niveau universel. » C’est en raison de ce blocage que, le 19 juin dernier, les prêtres dirigeants de la Pfarrer Initiative ont tapé du poing sur la table en lançant leur appel à la « désobéissance ». Le conflit est d’autant plus déroutant que le cardinal est un conservateur éclairé qui a notamment nommé des femmes à des postes clés, et confié des paroisses de rite latin à des prêtres mariés grecs-catholiques, ce qu’il n’a théoriquement pas le droit de faire. Il a lancé en 2010 une grande mobilisation pour faire face à l’avenir : l’Église doit être missionnaire et répartir des laïcs sous la forme de communautés de base.
« L’appel à désobéir était un électrochoc. On a joué notre va-tout », explique l’un des piliers de la Pfarrer Initiative, le père Kurmanowytsch. Ceux qui ont promis allégeance à leur évêque le jour de l’ordination peuvent-ils désobéir sans se parjurer ? « On ne doit obéir qu’à sa conscience. L’Église n’est pas l’armée ! », explique Helmut Schüller. Faire pression en menaçant les autorités de transgression est-il si efficace ? « Si l’apôtre Paul n’avait pas fait pression sur ses chefs pour que l’Évangile soit annoncé aux non-juifs, l’Église n’existerait pas ! Si l’Église s’était remise en question à temps, on n’aurait pas eu la Réforme ! », rétorque le prêtre. Officiellement, les pourparlers sont en cours. Le prélat a demandé aux rebelles de son diocèse de se positionner par écrit face aux préceptes qu’ils veulent enfreindre. Ils ne lui ont pas encore répondu.
Dans la ligne de mire des « indignés » se trouve le regroupement des paroisses, dû à la pénurie de prêtres. « Les gens se sentent abandonnés : ils n’ont plus de curé attitré, ils ont de moins en moins de services publics, et on leur propose le curé d’à côté alors qu’ils payent des impôts pour l’Église ! », souligne une laïque progressiste, Barbara Coudenhove Kalergi. Le père Nikolaus Krasa, vicaire général de Vienne, se veut réaliste : « Le nombre de catholiques déclarés a fortement chuté, de sorte qu’il y a la même proportion de prêtres par rapport au nombre de croyants qu’il y a 20 ans… Mais le manteau est devenu trop grand pour nous. D’autant que nous devons payer pour l’entretien des églises. »
L’évolution, certes cruelle, est une chance pour Veronika Prüller-Jagenteufel, responsable des 2 200 agents pastoraux du diocèse de Vienne. « Nous devons inventer quelque chose de nouveau. Le système a été pensé au XVIIIe siècle : Joseph II avait multiplié les paroisses pour contrôler ses sujets via les curés. Même si nous avions tous les prêtres qu’il faut, nous n’aurions plus les moyens financiers de faire vivre ce maillage territorial. Ni les moyens humains, car une paroisse a besoin d’une certaine masse critique pour fonctionner et rayonner. » En 2010, en Autriche, l’Église catholique a enregistré un record dans les sorties d’Église : 87 000, soit 64 % de plus qu’en 2009, ce qu’elle impute à la tourmente médiatique liée à la pédophilie, un dossier pourtant assez bien géré par les évêques. Ces sorties comptabilisées par les services fiscaux signifient une chute des ressources. Mais ce phénomène a aussi touché très fortement l’Église protestante.
« Remplir tous les postes de prêtres en ordonnant des laïcs ne ferait que retarder la mutation nécessaire et renforcer le cléricalisme. L’urgence est de vivre le sacerdoce commun des baptisés défini par Vatican II, estime Otto Neubauer, directeur de l’Académie d’évangélisation de Vienne. Avant de construire la structure idéale, notre défi est de vivre la foi. L’évangélisation est prioritaire. Là est la vraie révolution. » Pour certains prêtres de base, qui avouent leur épuisement à gérer quatre ou cinq clochers quand, jadis, ils ne s’occupaient que d’un seul, ceci n’est qu’un vœu pieux. Le père Gump, dans la banlieue viennoise, est très clair : « Nous sommes des prêtres proches des gens, pas des managers de regroupements pastoraux. Je connais des pères de familles qu’on pourrait ordonner. Le célibat ne définit pas le sacerdoce. » Pour le père Bensdorp, on est au bord du gouffre : « Des prêtres ne cessent de m’appeler pour me dire qu’ils craquent. Le bateau coule ! » Quant à refuser la communion aux divorcés remariés, « c’est plus difficile à expliquer aux gens que vous côtoyez tous les jours que depuis un bureau du Vatican », affirme Viktor Kurmanowytsch.
La situation étant bloquée, certains radicaux peuvent rendre public ce qu’ils font en cachette, ce qui obligerait les évêques à sévir. Mgr Scheuer, l’évêque d’Innsbrück, par exemple, vient d’annoncer une enquête suite à la révélation que des messes sauvages étaient dites par des laïcs dans son diocèse. Aux yeux du droit canon, un tel acte fait encourir l’excommunication, et Mgr Scheuer a prévenu qu’il agira si les faits sont avérés. Des sommets tyroliens à la plaine de Danube, les convulsions ecclésiales ne font que commencer.
Jean Mercier
Source : article publié dans La Vie n° 3446 du 15 Septembre 2011
http://www.lavie.fr/hebdo/2011/3446/index.php?contexte=p
En savoir plus sur le diocèse d’Innsbrück :
AUTRICHE C’est une nouvelle fronde (qui n’est pas sans rapport avec celle des 330 prêtres signataires d’un Appel à la désobéissance qui fait grand bruit dans l’Eglise. Elle se déroule dans le diocèse d’Innsbrück, dans le Tyrol, où la télévision autrichienne a révélé l’existence de “célébrations eucharistiques privées”, réalisées sans prêtre. Parmi les personnes participant à ces célébrations, une des fondatrices du mouvement réformateur “Nous sommes l’Eglise“, le Dr Martha Heizer. Sur le site du diocèse (en allemand), le Dr. Jozef Niewiadomski, professeur de théologie systématique, explique pourquoi les participants s’exposent à des sanctions en usant d’une métaphore pour le moins inattendue: “Aucune entreprise ne saurait tolérer que ses produits de qualité, protégés par des brevets, soient contrefaits par d’autres sociétés ou individus et vendus à bas prix. Le fait de tolérer de tels actes conduit simplement à la dissolution progressive de l’entreprise.”
Source :
http://www.lavie.fr//religion/matinale-chretienne-du-13-septembre-13-09-2011-19907_10.php